Témoignages de prisonniers du Sonderlager 1943-1944

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L’arrestation

 « Samedi 18 mars 1944 à 6h30, on sonne… Maman va ouvrir, aussitôt on crie… : Polizei. Je me lève en vitesse et je vois deux hommes en civil qui s’avancent sur moi révolver au poing, ils me demandent : Bist du die Marie-Louise ?. Je réponds affirmativement, alors ils m’interdisent de bouger. Pendant qu’un d’eux fait le tour de l’appartement, l’autre reste avec moi. Maman m’ayant parlé français, il lui donne deux gifles. L’autre entre temps, regarde sous les lits, dans les armoires, inspecte partout, puis il revient et n’ayant rien trouvé de dangereux, ils déchargent leur révolver. […] Dans la rue je vois la grande voiture cellulaire, toute grise, je monte et là un [agent de la] Gestapo prend le châle que j’ai au cou et me le met sur les yeux, puis me pousse à l’intérieur de la voiture et me fait assoir. Il referme la porte, l’auto se met en route. »

Marie-Louise Raisin, prisonnière n°927 du Sonderlager

L’arrivée des prisonniers

« Une solide et massive porte d’entrée en fer […]. Cette porte était constamment fermée et la clé d’ouverture se trouvait dans les mains du fonctionnaire de garde ».

Charles Hoeffel, prisonnier n°66 du Sonderlager

 « On nous fit descendre de camion à coups de trique et de crosse. A chaque coup, nous devions remercier poliment la sentinelle. Le commandant du camp maniait lui-même volontiers la matraque. »

Marcel Bour, prisonnier n°371 du Sonderlager

« Les SS nous ont fait descendre les escaliers à coups de crosse. »

Edouard Perrette, prisonnier n°479 du Sonderlager

« Nous traversions des couloirs froids et humides. Derrière nous, les SS manœuvraient les culasses de leurs fusils. Allions-nous être exécutés ? »

Léon Burger, prisonnier n°1273 du Sonderlager

« Ce que les victimes du fascisme ont eu à endurer de ces jeunes dépravés lors de leur terrible séjour à Queuleu, est presque indescriptible. Plus le prisonnier se lamentait et gémissait, plus grande était la joie des bourreaux. […] Joseph Kirsten fut abattu dans la cellule parce que, une nuit, il s’était soulevé sur son lit sans avoir demandé la permission au garde. Son assassin, un jeune SS, prénommé Günther était originaire de Thionville. Pour son exploit, il fut gratifié de 6 jours de congé spécial. »

Charles Hoeffel, prisonnier n°66 du Sonderlager

L’attente des prisonniers

« Nous étions simplement fouillés. On nous enleva tout le contenu de nos poches. Moi, on me délesta de mes affaires personnelles, montre, portefeuille… »

Léon Burger, prisonnier n°1273 du Sonderlager

« On nous dépouillait de tout. J’ai été dépouillé de mon portefeuille contenant 50 photos de De Gaulle, 18 500 francs, 700 Marks, mes papiers allemands et mon alliance, ma montre-bracelet, mon couteau, mon canif. »

Pierre Ehrmann, prisonnier n°911 du Sonderlager

 Les interrogatoires des prisonniers

 « Chaque fois qu’un membre de la Gestapo procédait à l’interrogatoire d’un détenu, après lui avoir fait enlever le bandeau des yeux, il plaçait ostensiblement un nerf de bœuf à côté de lui ; si la réponse qu’il donnait ne lui plaisait pas, il frappait jusqu’à ce qu’une réponse favorable lui fût donnée. Voici d’autres procédés employés contre les récalcitrants : les yeux bandés, les mains liées dans le dos, le malheureux était traîné dans une pièce spécialement apprêtée pour les tortures. Si après le matraquage, le détenu n’avouait pas encore, on lui liait une corde autour du cou en lui disant « maintenant c’est ta fin si tu ne parles pas ». Les tortures continuaient alors jusqu’à perte de connaissance. Le contenu de quelques seaux d’eau froide lancé dans la figure faisait reprendre connaissance à la victime. Et on lui communiquait qu’il existait encore des méthodes bien plus efficaces pour le faire avouer. Un autre procédé consistait à mettre des crayons entre les doigts de la main, que le tortionnaire serrait de plus en plus fort… »

Charles Hoeffel, prisonnier n°66 du Sonderlager

« Un à un, on nous jetait dans une sorte de bureau dans lequel un adjudant de la Gestapo nous demandait notre état civil. Tiens voilà un instituteur… Apprenez-lui les méthodes de l’école des SS ! dit le commandant aux jeunes SS. Se tournant vers moi, il me cria : N’oublie surtout pas que tu n’es plus monsieur Lang mais que tu t’appelles à partir d’aujourd’hui, le numéro 124 ! »

Octave Lang, prisonnier n°124 du Sonderlager

L’enregistrement des prisonniers

 « Ici vous êtes en enfer et Satan c’est moi ! »

Georg Hempen, commandant du Sonderlager

 « Matt ? Il était entré dans le bureau de Hempen. Les cris du malheureux nous arrachaient des frissons d’horreur. Lorsqu’il en sortit, il saignait de partout. On le jeta alors dans sa cellule où il mourut. C’était le 28 décembre 1943. Sur l’acte de décès, Hempen avait inscrit de sa plus belle plume : défaillance cardiaque. »

Antoine Schmitt, prisonnier n°57 du Sonderlager

 « Le fort de Queuleu avait aussi son kapo. L’ignoble Hempen avait recruté un kapo qu’il avait dressé et qui s’appelait Charles Kraushaar. Tous les travaux furent exécutés sous ses ordres et sous sa surveillance. Plus tard, il devint l’exécuteur des désirs de l’ignoble Hempen. Le kapo frappait ses camarades sans conviction et avec réticence au début. Mais étant brutalisé lui-même par Hempen, terrorisé, il se mit alors à frapper sauvagement ses camarades. Comment un bon antifasciste put-il tomber si bas dans l’indignité humaine alors qu’il était lui-même une victime ? L’équilibre physique et psychologique de Kraushaar se brisa sous les pressions faites sur sa propre personne. C’est ainsi qu’il devint un lâche et vil instrument dans les mains de Hempen. […] S’il avait refusé d’exercer des sévices envers ses camarades, c’est lui qui aurait été frappé à mort et relevé de ses fonctions de bourreau. »

Charles Hoeffel, prisonnier n°66 du Sonderlager

Les cellules individuelles

« Pour se faire, il fallut plus de 1000 briques et les quantités de ciment et de sable correspondantes. Les prisonniers des cellules 3 et 4 durent, par des grands froids, décharger et amener les briques par une chaîne de mains à mains, du camion à la cave. Le sang coulait des mains blessées et malheur à celui qui laissait tomber une pierre. Les matériaux étaient ensuite transportés sur une civière au pas de course ininterrompu. Tout ceci à grand renfort de cris et de coups. »

Charles Hoeffel, prisonnier n°66 du Sonderlager

Les cellules Collectives

 « Ils me firent subir le supplice de la gymnastique, c’est-à-dire sauter sur place avec de lourdes planches dans les bras, fléchir les genoux, me rouler par terre avec la charge jusqu’à perte de connaissance. […] Un coup de crosse sur le nez, et le sang coulait. J’en porte encore aujourd’hui, fin 1945, la cicatrice. »

Jacques Nicaise, prisonnier n°314 du Sonderlager

« Les nuits, les SS rentraient souvent ivres de la ville. Ils se livraient à de véritables orgies de haine. A 6 ou 8, conduits par leur sous-officier, ils entraient en hurlant dans les cellules. Ils choisissaient au hasard quelques victimes, les faisaient dégringoler de leur lit. Et la gymnastique commençait. Les yeux bandés, les mains ligotées, il fallait faire des génuflexions, ramper sur le plancher couvert de poussière et d’immondices, remonter au deuxième étage des lits et en redescendre à toute vitesse. Le traitement inhumain infligé aux internés provoqua de nombreux cas de folie. Certains ayant perdu le contrôle de leurs nerfs s’agitèrent sur les bancs arrachant la bande des yeux. Les coups du gardien, loin de les calmer, accentuèrent leur délire. Ils ne se rendaient plus compte qu’ils étaient en prison, appelaient leur femme, leurs enfants, voulaient aller au travail. »

Octave Lang, prisonnier n°124 du Sonderlager

« Depuis le lever à 6 heures jusqu’au coucher à 20 heures, il faut passer toute la journée assis sur les bancs, devant les lits en station rigide, la tête tournée vers la porte de la cellule, mains liées et yeux bandés, sans broncher, sans parler, sans bouger, sans quoi les coups de trique ou de crosse de fusil de la sentinelle pleuvent. Deux interruptions d’une heure cependant. La première, le matin de 7 à 8 heures, la seconde de 18 à 19 heures pour les besoins naturels qui se font dans une lessiveuse : une heure pour les 84 occupants de la cellule. A midi, il n’y a que dix écuelles : les dix premiers mangent, passent ensuite l’écuelle de soupe ou de café aux dix suivants et ainsi de suite. Mais comme on mange yeux bandés et mains liées, cela consiste surtout à tremper son visage dans la gamelle qui tient péniblement. La nuit, les détenus dorment à deux sur la même paillasse mais dans le sens opposé, la tête de l’un aux pieds de l’autre pour ne pas communiquer. »

Marcel Christini et Marcel Rollin prisonniers n°462 et n°38 du Sonderlager

 « Par contre le commandant avait trouvé un truc pour nous faire passer le temps. Il fallait lui livrer 40 ou 60 puces tuées sur un bout de papier pour avoir son casse-croûte le soir. Si le compte n’y était pas, on ne recevait que la ½ de la portion. Mais les femmes c’est malin. Et il oubliait de prendre les feuilles avec les puces. Et le lendemain on lui resservait, après les avoir mis dans un linge humide. Il n’en voyait que du bleu ! »

Marie-Louise Raisin, prisonnière n°927 du Sonderlager

Les Corvées et l’évasion

« Il m’est impossible de décrire ici tout ce que j’ai vu et vécu dans ce camp spécial. Le fort de Queuleu était un véritable enfer, un lieu de terreur, de mauvais traitement et de cruauté, où mourraient des êtres innocents. Je fus mis dans la cellule 3 et attribué au travail dans l’atelier. C’est dans la cellule 3 que furent amenés tous les détenus à moitié mort par suite des coups reçus ; certains avaient le crâne fracturé, d’autres la poitrine enfoncée, d’autres des blessures par baïonnette, et parfois des fous. »

Albert Roth, prisonnier n°51 du Sonderlager