Fernand TRAVER (1906-1978) : Fernand Traver est né le 11 mai 1906 à Lorry-lès-Metz. Mariés en 1932, Fernand et Adèle Porotti s’installent au 3 rue Saint-Ladre à Montigny-lès-Metz. Leur fils, Maurice, naquit en 1934.

1939-1940 : De la Ligne Maginot au camp de prisonniers de guerre

Mobilisé le 22 août 1939, il découvre la guerre au sein du 160e régiment d’infanterie de forteresses avec le grade de sergent-chef. Il stationne dans la région fortifiée de la Ligne Maginot de Faulquemont avant de rejoindre la région de Boulay le 23 mai 1940, où se trouve notamment le camp du Ban-Saint-Jean (Figure 1). Son régiment se replie à partir du 13 juin vers Nancy. Fait prisonnier le 18 juin 1940 à Essey-lès-Nancy, il est ensuite interné dans le camp de prisonniers de guerre de la Caserne Blandan à Nancy (Frontstalag 160). Même si rien n’est prévu dans la convention d’Armistice au sujet de l’Alsace-Moselle, des propositions de libération des prisonniers non juifs issus de ces territoires sont effectuées dans les différents camps de prisonniers. Fernand est ainsi libéré le 25 juillet 1940, jour du rétablissement de l’emplacement de la frontière de 1871 avec l’Allemagne. Il retourne auprès de sa famille à Montigny-lès-Metz où il assure la comptabilité des cinémas de Metz.

Figure 1 – Fernand Traver en uniforme de troupes de forteresses devant le 5 rue Saint-Ladre à Montigny-lès-Metz et dans le jardin de ses beaux-parents rue Saint-Ladre (à l’arrière-plan, le gazomètre et le bâtiment du lycée actuel Jean XXIII) (Archives Michaël Landolt).

1940-1942 : Ses premiers actes de résistance

Le 15 août 1940, il participe avec son fils Maurice, tout juste âgé de six ans, à la cérémonie patriotique de la place Saint-Jacques à Metz, pourtant interdite par les autorités nazies (Figure 2). C’est son premier acte de résistance. Révolté par l’Annexion, Fernand entame alors une action continuelle d’opposition. Il conspire contre l’occupant en participant à des sabotages sur son lieu de travail, espionnant l’ennemi et en lui dérobant des documents. À Noël 1940, il connaît ses premiers démêlés avec les agents de la Gestapo pour ses relations avec les prisonniers de guerre français. Au cours de l’année 1941, Fernand entre en contact avec Simon Muller, futur président de l’Union départementale des passeurs bénévoles de la Moselle après la guerre, pour l’aider à faire passer deux prisonniers de guerre français qu’il cachait chez lui. À Novéant-sur-Moselle, Simon détourne l’attention des douaniers et des policiers en offrant une bouteille de vin, pendant que Fernand utilise le chemin qui se trouve derrière le poste de douane pour faire passer les prisonniers évadés. En 1942, il réussit aussi sans encombre à passer deux autres prisonniers de guerre évadés à la demande de Frédéric Melwig (1913-?).

Figure 2 – Photos prises par Fernand Traver le 15 août 1940 place Saint-Jacques à Metz. Sur la photo de droite, son fils Maurice alors âgé de six ans (Archives Michaël Landolt).

1942-1944 : Agent-recruteur au sein du réseau de passeur « Marie-Odile »

Après sa rencontre avec Marie-Louise Olivier née Bastien dite « Malou » (1910-?), Fernand intègre la filière mosellane du réseau « Marie-Odile » issue des Forces Françaises Combattantes en devenant agent recruteur en décembre 1942.

Ce réseau fondé dès août 1940 à Nancy par Pauline-Gabrielle de Saint-Venant dite « Marie-Odile Laroche » (1895-1945), s’étendait dans toute la France et regroupait plus de 600 agents dont environ 200 furent arrêtés et une soixantaine fusillés ou morts en déportation (Figure 3). À partir de l’arrestation à Paris de Mme de Saint-Venant, le 4 mai 1944, son gendre, le docteur Joseph-René Helluy (1911-1976), prend la tête du réseau à Nancy. Il est lui-même arrêté le 10 mai puis déporté. En plus des services de renseignements et de transport d’armes, ce groupe réalise plus de 30 000 passages à destination des maquis, de la France Libre, de l’Afrique du Nord, de la Suisse et de l’Angleterre. Le réseau prenait en charge des prisonniers de guerre français, des Alsaciens-Mosellans réfractaires à l’armée allemande (parmi eux Alphonse Barthel né en 1926, un des derniers témoins du fort de Queuleu), des Juifs, ainsi que des aviateurs alliés (plus de 300). Hébergement, habillement, convoyage et faux-papiers sont fournis par le réseau notamment par Marie-Louise Raisin. Pierre Ehrmann, un des futurs évadés du fort de Queuleu, est responsable pour la région messine du secteur Est du réseau.

Figure 3 – Schéma organisationnel du réseau Marie-Odile (Archives du Service Historique de la Défense).

À partir de décembre 1942, Fernand Traver fait passer la frontière à des prisonniers évadés et à de jeunes réfractaires qui sont ensuite pris en charge, rassemblés à Nancy puis convoyés vers Paris (une étape avant d’être acheminés dans l’Ouest, en Corrèze et dans les Pyrénées), Mâcon, Lyon, la Suisse ou plus exceptionnellement le Nord ou les Pyrénées. C’est ainsi que Jacques Martz de Metz-Queuleu, ayant pris la décision de ne pas se soumettre à l’Arbeitsdienst est transféré le 10 décembre 1943 pour rejoindre son père déjà à Aurillac. Fernand Traver et Léon Cosar vont à plusieurs reprises entre 1942 et début 1944 depuis Montigny-lès-Metz jusqu’à Trèves apporter des vivres à des prisonniers de guerre français cantonnés dans les casernes du Stalag XIID. Grâce à la complicité d’un Allemand qui exerçait la profession de coiffeur dans cette caserne, ils peuvent remettre ces vivres et organiser des évasions puis héberger et fournir les prisonniers en faux-papiers.

 1944 : La destruction du réseau par la Gestapo de Metz

Vers le 10 février 1944, Frédéric Melwig demande à Fernand s’il pouvait l’aider à faire passer un nommé Georges Demerlé qui se disait ancien adjudant de l’armée française. Celui-ci voulait se rendre dans la zone Sud. Fernand accepte et conduit l’intéressé chez « Malou ». Lorsqu’ils arrivent chez elle, cette dernière est en discussion avec le passeur Othon Giry (1912-?), auquel elle reproche de garder sur lui les adresses des jeunes gens à qui il faisait passer la frontière. Il est décidé que Georges Demerlé serait transféré trois ou quatre jours plus tard. Ce dernier présente à « Malou » un passeur nommé Ernest Schang avec qui il était prévu qu’il traverse la frontière. Quelques jours plus tard, Ernest Schang rapporte une lettre de Demerlé l’assurant que tout s’était bien déroulé. Début mars 1944, deux prisonniers évadés sont hébergés chez Fernand à Montigny-lès-Metz.

Le 18 mars 1944, le secteur mosellan du réseau Marie-Odile est anéanti par la Gestapo à la suite de l’action de deux agents du Sicherheitsdienst (SD), qui n’étaient autres qu’Ernest Schang, de son vrai prénom Émile, et Georges Demerlé, infiltrés depuis quelques mois dans la filière et qui avaient bénéficié de la confiance d’agents du réseau. L’arrestation de Fernand Traver se déroule à son domicile devant son fils, Maurice. Celui-ci, alors âgé de neuf ans, témoigne : « Je suis endormi dans mon petit lit lorsque l’on sonne. Plusieurs civils, pistolet automatique au poing, en manteau de cuir et chapeau envahissent ma chambre. Il est 5 heures du matin et le reste de l’appartement est déjà occupé. Je tremble de peur reconnaissant tout de suite la Gestapo et sachant qu’un drapeau français est caché au fin fond de ma caisse à jouets. Les policiers, me bloquent dans ma chambre, embarquent mon papa et obligent maman à rester dans sa cuisine. Au bout d’un certain temps ils me permettent de rejoindre ma maman en pleurs. Pendant qu’ils fouillent chaque recoin de l’appartement ma maman leur demande, en allemand, s’ils veulent du café ? Ils sont d’accord et maman en profite, en me faisant de gros yeux, pour brûler un morceau de papier sur la cuisinière. Moi on m’avait déjà répété de ne rien dire des messieurs qui passaient et parfois restaient quelques jours chez nous. Lorsque les policiers sont repartis j’apprends que le papier brûlé était une liste d’adresses des prisonniers évadés qui avaient été hébergés clandestinement chez nous ! ».

18 mars-20 mai 1944 : L’enfer du fort de Queuleu

Vers 9h, la voiture s’arrête au fort de Queuleu. Fernand Traver, Marie-Louise Olivier, Marie-Louise Raisin, Frédéric Melwig et son épouse, Mathilde et Jean-Pierre Thomès, Marie Pincemaille et Louis Suttor descendent de la voiture. Le numéro 916 est attribué à Fernand. Il y passe 56 jours. Un jour d’avril 1944, René Thill, un des futurs évadés du fort, qui exerçait les fonctions d’infirmier dans le camp, est conduit par un SS dans la cellule n°10 pour y laver l’œil de Fernand : « [Il] avait le visage tuméfié, le nez enflé et le haut de son costume ensanglanté. Il avait été manifestement frappé sauvagement. ». Roger Marchal de Montigny-lès-Metz, alors affecté à la corvée de balayage au fort, témoigne également : « Dans la cellule n°10, j’ai reconnu, malgré le bandeau qu’il avait sur les yeux Monsieur Fernand Traver. À la suite des coups qu’il avait reçus, son visage était presque méconnaissable, les joues étaient boursouflées et le nez tout enflé ; sa veste était pleine de sang. » La Gestapo voulait lui faire avouer qu’il était un des responsables d’une filière de passeurs. Le 12 mai 1944, Fernand est interrogé par un agent de la Gestapo qui semblait être au courant de nombreux détails, notamment qu’il avait mangé deux morceaux de tarte chez Marie-Louise Olivier et qu’il avait laissé passer une automobile avant d’entrer chez elle, le jour où il présenta Georges Demerlé. Fernand avoue les faits sans pour autant dénoncer ceux qui l’avaient aidé ou ceux qu’il avait fait passer. Lors de son enfermement, il arrive à faire passer dans la clandestinité deux messages écrits à sa famille dans le linge qui était remis à la famille (Figure 4). Il y embrasse sa famille et demande quelques affaires ainsi que de la nourriture.

Figure 4 – Messages clandestins écrits par Fernand Traver lors de son internement au fort de Queuleu (Archives Michaël Landolt).

 20 mai-4 septembre 1944 : Stubenältester au block n°12 du camp de Natzweiler

Suite aux grandes rafles opérées par la Gestapo au début de l’année 1944, un transport de 378 hommes à destination du camp de concentration de Natzweiler et de 13 femmes à destination du camp de sûreté de Schirmeck est constitué au départ de Metz le 20 mai 1944. Au moins 126 personnes, soit un tiers des prisonniers issues de ce convoi, ne reviendront pas de déportation. Hormis Fernand, on note par exemple la présence de Gustave Einig, père de la présidente de l’Association du fort de Metz-Queuleu, et des trois frères Filippetti – Filippo, Mariano et Tommaso – grands-oncles de la future ministre de la culture française. Dans leurs cellules du fort de Queuleu, les détenus entendent leurs numéros par les haut-parleurs du camp. Ils sortent le crâne rasé, les yeux bandés et les mains liées puis sont contraints de monter dans des camions militaires bâchés. Direction la gare de marchandises de Metz où des wagons de voyageurs de troisième classe sont utilisés pour acheminer les prisonniers. De nombreux étrangers appartiennent à ce convoi : 108 Italiens, 42 Polonais, 31 Luxembourgeois, quelques Albanais, Autrichiens, Yougoslaves, Serbes et Soviétiques.

Après un voyage de plusieurs heures, le train s’arrête en Alsace à la gare de Rothau et les hommes sont conduits au camp de Natzweiler où Fernand se voit attribuer le n° 15 302 (Figure 5). Après la quarantaine, il reste cloué au lit pendant 33 jours atteint d’une bronchite, mais ne va pas au Revier (infirmerie du camp). Rétabli, il se voit attribué la fonction de doyen chef des chambres (Stubenältester) du block n°12 grâce à sa connaissance de la langue allemande. Ses fonctions sont d’assurer la propreté, de contrôler les poux et de gérer le logement des prisonniers. Il peut écrire à plusieurs reprises à sa famille et participe à l’entraide (Figure 6). Il aide ainsi Monseigneur Gabriel Piguet (1887-1952), évêque de Clermont-Ferrand, qui se trouvait dans son block dans un important état de faiblesse. Le 3 juin 1944, il est vacciné contre la dysenterie. Le 1er septembre 1944, Fernand est témoin des exécutions des membres du réseau Alliance ainsi que du groupe mobile Alsace-Vosges et apprend que quatre femmes anglaises du Special Operation Executive ont été exécutées le 6 juillet 1944 : « C’était l’un des instants les plus terribles que j’ai vécus au camp de concentration. L’un de mes camarades m’appela aux toilettes, là-bas j’aperçus par la fenêtre le crématoire qui était éloigné d’environ 50 m. Des femmes nues se tenaient debout et j’entendis des appels au secours en français. Le lendemain je m’entretenais avec le traducteur Konrad Schulz, un Allemand qui était ici depuis longtemps, pour savoir ce qui s’était passé la veille pendant la nuit quand 40 femmes furent jetées vivantes dans le feu. Il me dit que c’était la première fois que cela était arrivé. Il m’apprit aussi que, quelques jours auparavant, quatre jeunes filles anglaises subirent le même sort, mais après avoir reçu une injection. »

 

Figure 5 – Fiche d’effets personnels de Fernand Traver au camp de Natzweiler (Archives de l’ITS).

Figure 6 – Lettre du 25 juin 1944 écrite par Fernand Traver au camp de Natzweiler (Archives Michaël Landolt).

6-27 septembre 1944 : Un court passage à Dachau

Le 4 septembre 1944, Fernand Traver est transféré au camp de Dachau (Bavière) où il est enregistré le 6 septembre (matricule 102436) et affecté aux Blocks 19, 21 et 23 (Figure 7). Il y retrouve son ami Charles Hoeffel mais sa présence y est de courte durée. Le 11 novembre 1944, Fernand Traver apparaît sur une liste liée à un projet de convoi de 100 prisonniers à affecter à Zschachwitz, camp annexe de Flossenbürg, près de Dresde. Ce camp, installé dans une usine de la Mühlenbau und Industrie AG (MI AG), était destiné à la production de pièces de chars Jagdpanzer. Ce transfert n’est pas effectué.

Figure 7 – Carte d’enregistrement de Fernand Traver au camp de Dachau (Archives de l’ITS).

1er octobre 1945-16 avril 1945 : Le camp annexe de Gröditz au service de l’industrie de guerre

Fernand Traver est finalement transféré le 27 septembre 1944 à Gröditz, annexe de Flossenbürg, où il est enregistré le 1er octobre 1944 (matricule 28 294). Le camp installé près de Riesa vient seulement d’être créé. Le kommando est installé dans une usine de la Mitteldeutsche Stahlwerke appartenant au groupe Flick pour la construction de canons anti-aériens (Figures 8-9). Les déportés travaillent pendant 12h par jour dans une partie de l’usine séparée avec du fil de fer barbelé. Le 11 novembre 1944, Fernand appartient à un convoi de 100 prisonniers qui sont affectés au camp annexe de Zschachwitz près de Dresde où se trouvent de nombreux Français et Italiens. Le camp est installé dans une usine de la Mühlenbau und Industrie AG (MIAG). Les prisonniers doivent produire des pièces de chars Jagdpanzer. Il est rapidement réaffecté au camp de Gröditz entre fin 1944 et janvier 1945. Dans ce dernier camp, il a le rôle de secrétaire de camp (Lagerschreiber) et d’interprète (Figure 10). Il compile dans un petit carnet la liste de quelques prisonniers français et italiens décédés dans le camp (par exemple René Schwalbach d’Ars-sur-Moselle, Michel Wax de Metz ou Louis Hamann et Ernest Mann de Montigny-lès-Metz) (Figure 11). Ce camp annexe de Flossenbürg, où un millier de prisonniers ont été enregistrés, a compté jusqu’à 743 déportés en avril 1945. Constitué d’une majorité de Polonais et de Soviétiques, on note également la présence d’Allemands, Hongrois, Français et Italiens. Le camp est dirigé par le SS Obersturmführer Eduard Edmund Körmann. 64 SS assurent le gardiennage. Fernand met en place dans le camp une organisation d’entraide et de sabotage. Les déportés dormaient dans un unique dortoir installé dans l’usine où l’atmosphère était insupportable en raison de l’absence d’aération. Les systèmes de couchages étaient constitués de lits à ressorts sans matelas avec parfois une couverture. Le camp compte une infirmerie avec un infirmer soviétique. La mortalité y est importante (plus de 220 décès) et les corps sont placés dans des caisses à tubes qui étaient chargés sur des voiturettes électriques.

 Figure 8 – Canons antiaériens produit dans l’usine du camp annexe de Gröditz (Saxe) (Archives Michaël Landolt).

Figure 9 – Bâtiment du camp annexe de Gröditz (Saxe) (Archives Michaël Landolt).

 Figure 10 – Insignes, fragment de tenue de déporté et plaques d’identifications de Fernand Traver dans le camp annexe de Gröditz (Archives Michaël Landolt).

 Figure 11 – Carnet portant mention des déportés décédés dans le camp tenu par Fernand Traver dans le camp annexe de Gröditz (Archives Michaël Landolt).

16-18 avril 1945 : L’évacuation du camp annexe de Gröditz et le massacre de Koselitz

Le 14 avril 1945, Heinrich Himmler ordonne l’évacuation du camp principal de Flossenbürg et de ses annexes. Le 16 avril, Paul Shmalfuss, un civil ayant des responsabilités dans l’usine de Gröditz, donne la clef d’un bureau à Fernand en lui indiquant qu’il devrait s’y cacher à la première occasion et lui indique qu’un autre prisonnier de nationalité yougoslave y était caché. Cependant, l’occasion ne se présente pas et, lors de l’appel du soir de 18h, les SS annoncent l’évacuation du camp. Celle-ci devait se dérouler à pied pour les valides et en camion pour les autres.

Le tri est effectué par les SS. 135 malades, prisonniers squelettiques et ne portant pas de chaussures sont emmenés dans la prison du camp (Bunker). Après le repas à 21h, 150 prisonniers sont emmenés dans un camion avec remorque. Fernand doit les guider avec Vladimir Rittenberg et s’occuper des papiers. Le lendemain, à 2h du matin, le camion est de retour et Fernand doit choisir 150 autres prisonniers pour un nouveau convoi, mais les SS annulent l’ordre et décident de sélectionner les 53 malades correspondant aux 17 du Revier I et 36 typhoïdiques du Revier II. 135 personnes, qui avaient été présélectionnées et rassemblées dans la prison, sont ajoutées au convoi. Les prisonniers poussent des hurlements et le véhicule part à 3h avec ses 188 déportés. À 5h, celui-ci est de retour vide. Fernand s’étonne de la rapidité du voyage par rapport au précédent et interroge les gardiens qui lui indiquent qu’ils ont été tués dans une usine de sel ou qu’ils ont été envoyés à l’hôpital. Le maître d’équipage SS (Obermaat) Schnautz lui indique qu’ils ont été tués dans une sablière. Plus tard, Fernand apprendra que ce dernier s’était vanté d’avoir tué d’un coup de revolver dans la nuque au moins 120 prisonniers à ce moment là. Par ailleurs, le commandant lui indique qu’ils ont été tués et qu’il n’est pas satisfait de ce qui s’est déroulé. Ceux-ci ont en effet été massacrés non loin de l’usine dans une carrière de sable de Koselitz alors que les forces alliées ne se trouvaient à moins d’une vingtaine de kilomètres. Après avoir été jetés du camion, les déportés ont été fusillés et ensevelis dans une fosse commune. L’ordre d’éliminer les faibles et les malades aurait été donné par la direction civile de l’usine afin d’économiser un transport car l’évacuation devait se dérouler le plus rapidement possible.

Le lendemain, un autre convoi quitte le camp avec des prisonniers valides, notamment le carrossier messin Denis Schaff, qui est transporté avec le même véhicule à Dresde avant de participer à une marche de la mort.

18 avril-9 mai 1945 : La marche de la mort

Après avoir participé au nettoyage du camp, Fernand quitte Gröditz le 18 avril 1945 avec un petit groupe de 28 déportés. Convoyé à pied et par camion, le groupe est intégré à une « marche de la mort » issue du camp de Leipzig, kommando de Buchenwald, qui se déplace plus ou moins au hasard. Ceux qui ne peuvent pas suivre sont abattus par les gardiens. La colonne de prisonniers passe par Radebeul, Pirna, Petersdorf (aujourd’hui Petovice en Tchéquie), Aussig (aujourd’hui Usti en Tchéquie), Leitmeritz (aujourd’hui Litomerice en Tchéquie) puis Voitsdorf (aujourd’hui Bohatice en Tchéquie) où elle sera libérée le 9 mai par les Soviétiques vers 2h du matin. Profitant de l’absence de gardiens, une partie du groupe avait pu s’enfuir alors que 132 déportés, qui avaient voulu dormir après le départ des SS, avaient été massacrés par des soldats en déroute. Réfugié dans une ferme de Voitsdorf, il est hébergé et nourri par des civils tchèques.

Hormis Fernand Traver, sur les 70 Français du camp de Gröditz, 5 autres auraient survécu aux évacuations notamment Robert Capezzone, Denis Schaff, Joseph Poitevin et Vladimir Rittenberg.

25 mai 1945 : De Metz à Nuremberg, le grand témoin

Fernand est ensuite acheminé à Paris en avion via l’Hôtel Lutecia et rentre enfin chez lui le 25 mai 1945 à Montigny-lès-Metz. Fernand écrit alors aux familles de déportés décédés à ses côtés dans les camps et correspond avec d’anciens camarades déportés. Le 17 juin 1945, à peine rentré de déportation, il se rend à Gröditz depuis Metz avec Yvonne Villeminot, la veuve du résistant Pierre Villeminot (1913-1945) de Clerval (Doubs), qui faisait parti du convoi des 188 déportés du kommando de Gröditz, avec qui Fernand s’était lié d’amitié. Celle-ci n’admet pas la mort de son mari et espère que ce dernier a réussi à se cacher. Ils arrivent à entrer dans la zone d’occupation soviétique sans autorisation en intégrant un convoi de la Croix-Rouge française. Après avoir parcouru des territoires dévastés par la guerre, rencontrés des déportés et prisonniers de guerre français, ils arrivent le 20 juin à Gröditz. Fernand fait arrêter d’anciens gardiens du camp par l’intermédiaire du maire. En les interrogeant, ils apprennent que les prisonniers évacués ont été exécutés dans la carrière de Koselitz où Fernand et ses compagnons se rendent le 22 juin 1945. Ceux-ci peuvent identifier l’emplacement de la fosse commune qu’ils purent faire exhumer par les autorités en août 1945. Une veste portant le numéro de déporté de Pierre Villeminot est retrouvée dans la fosse.

Figure 12 – Yvonne Villeminot et Fernand Traver en 1945 sur la fosse commune de Koselitz (Musée de la résistance et de la déportation de Besançon).

Le 22 janvier 1947, Fernand témoigne au procès de Georges Demerlé, agent du service de renseignements nazi (Sicherheitsdienst) qui se déroule à la Cour de justice de Moselle à Metz. Ce dernier est exécuté à Metz-Chambière pour trahison le 27 juin 1947. Le 30 avril 1947, Fernand témoigne au Procès contre Friedrich Flick (1883-1972), un industriel fondateur du parti nazi qui profita de la liquidation des propriétés juives pour créer un véritable empire produisant notamment de l’armement, qui se déroule du 19 avril au 22 décembre 1947 (Figures 13-14). Le 30 avril, Fernand y témoigne du fort de Queuleu, du camp de Natzweiler, mais surtout de Gröditz dont l’usine appartenait au groupe Flick. Il s’agit du cinquième des douze procès pour crimes de guerre organisé à Nuremberg. Il constitue le premier des trois procès contre les industriels (Flick, IG Farben et Krupp). Condamné à sept ans de prison, Flick est relâché au terme de sa troisième année.

 Figure 13 – Fernand Traver en 1947 au procès Flick au Tribunal international de Nuremberg (Archives Michaël Landolt).

 Figure 14 – Friedrich Flick en 1947 lors de son procès au Tribunal international de Nuremberg.

1945-1977 : L’engagement dans la vie municipale de Montigny-lès-Metz

Enfin, Fernand Traver s’engage dans la vie municipale de Montigny-lès-Metz. Lors des premières élections communales du gouvernement provisoire reportées en Moselle, Fernand est inscrit le 23 septembre 1945 sur la liste de la « Résistance et de l’Ordre » et obtient la majorité absolue (2801 voix pour 4616 voix exprimées). Il tient alors le rôle de premier adjoint de 1945 à 1977 aux côtés du maire Joseph Schaff (1906-1981) (Figure 15). Il œuvre avec dévouement en faveur de cette ville qu’il faut rebâtir puis développer. Il inaugure notamment l’église Sainte-Jeanne-d’Arc le 11 décembre 1960 et la Salle Europa le 2 juillet 1966 en présence du chancelier Konrad Adenauer (1876-1967) et de Jean Monnet (1888-1979).

Figure 15 – Fernand Traver, élu au conseil municipal de Montigny-lès-Metz (Archives Michaël Landolt).

1945-1977 : L’engagement au service de la mémoire de la résistance et de la déportation

En 1947, né sa deuxième enfant, Simone. Il fait aussi parti de nombreuses associations patriotiques comme l’Union Nationale des Associations de Déportés, Internés et Familles de disparus. Au sein du Comité Mosellan du Musée et du Mémorial du fort de Queuleu, il assure la fonction de trésorier. Cette association créé le 22 janvier 1973 regroupe cinq associations patriotiques mosellanes : l’Amicale des Anciens Déportés et Familles de Disparus du Fort de Queuleu (présidée par Firmin Nicolas), l’Association départementale de la Moselle de la Fédération Nationale des Déportés Internés Résistants Politiques (présidée par Léon Burger), la Fédération mosellane de l’Union Nationale des Anciens Déportés Internés et Familles de Disparus (présidée par Jean Cuelle), l’Union départementale des Combattants Volontaires de la Résistance (présidée par Bernard Lauris), et la Section départementale de l’Association nationale des anciennes Déportées et Internées de la Résistance (présidée par Suzanne Thiam). Le but de ce comité, présidé par Firmin Nicolas (1913-1994), déporté au fort de Queuleu, Natzweiler, Dachau et Mauthausen en 1944, est la création d’un musée départemental de la résistance et de la déportation au fort de Queuleu et l’érection d’un mémorial de la résistance et de la déportation à Metz. Situé à l’entrée du fort, le mémorial, que l’on doit à l’architecte Roger Zonca (1925-2010), est inauguré le 20 novembre 1977, en présence du Secrétaire d’État aux Anciens Combattants Jean-Jacques Beucler (1923-1999). La veille au soir, l’urne renfermant les cendres de déportés inconnus provenant de plusieurs camps de concentration nazis, déposée au monument aux morts de Metz près de la Porte Serpenoise depuis le 27 avril 1955, est transférée lors d’une procession aux flambeaux dans la crypte du mémorial lors d’une cérémonie militaire et d’une procession aux flambeaux (Figure 16).

Figure 16 – Suzanne Thiam, Jean Cuelle, Fernand Albrecht, Firmin Nicolas et Fernand Traver (de gauche à droite), au monument au morts de Metz lors du transfert de l’urne des cendres des déportés le 19 novembre 1977 (Archives de l’Association du fort de Metz-Queuleu).

Fernand Traver obtint de nombreuses distinctions : Croix de Guerre avec Étoile de Bronze en 1949 (Figure 17) puis palme en 1950, médaille militaire en 1953 et croix de chevalier de la Légion d’honneur en 1963. Le Grade d’Officier du Mérite National lui est conféré en 1977. Enfin, il décède le 20 décembre 1978 à Vandoeuvre-lès-Nancy à l’âge de 72 ans. Sa sépulture se trouve au commencement de la première allée du cimetière Grange-le-Mercier de Montigny-lès-Metz. Il est reconnu depuis le 18 septembre 1979 comme « Mort pour la France ».

Figure 17 – Remise de la Croix de Guerre avec Étoile de Bronze à Fernand Traver le 12 novembre 1949 lors de l’inauguration de la nouvelle statue de Sainte Jeanne d’Arc sur la place du même nom à Montigny-lès-Metz (Archives Michaël Landolt).

 


Sources :

-Léon Burger, Le Groupe Mario : une page de la Résistance Lorraine, Amicale des Anciens Déportés, Familles de Disparus et Amis du Fort de Queuleu, Imprimerie Louis Hellenbrand, Metz, 1965 et 1985.

-François Goldschmitt, Alsaciens et Lorrains à Dachau. Esclaves du travail, Tome 3, Editions Le Lorrain, Metz, 1945, p. 61-64.

-Cédric Neveu, La Gestapo en Moselle. Une police au cœur de la répression nazie, Éditions du Quotidien, Strasbourg, nouvelle édition 2015.

-International Tracing Service (ITS).

-Archives familiales.

-Archives de l’Association du fort de Metz-Queuleu.