Alphonse BARTHEL (1926-2021) : Alphonse Barthel est né le 5 janvier 1926 à Metz et réside au 35 rue du Lavoir dans le quartier du Sablon. Après avoir fait ses études à l’Ecole pratique supérieure de Metz (actuel Lycée Louis Vincent de Metz), il exerce la profession d’employé de bureau. Il apprend l’allemand à l’école. Il est marqué par les mémoires de guerre de son père qui avait été soldat dans l’armée allemande pendant le Grande Guerre en Russie.

Entre octobre 1943 et mars 1944, il effectue à 17 ans son service du travail (Reichsarbeitsdienst) à Straubing près de Ratisbonne (Bavière) dans un camp. Il y manie la bèche ainsi que le fusil et travaille dans un bureau où il s’occupe du rationnement. Le conseil de révision du camp l’affecte dans la SS à cause de ses mensurations. Il rentre à Metz dans l’intervalle avant son service militaire. Il est ensuite convoqué dans une caserne à Prague pour le 19 février 1944 afin d’être incorporé dans la Waffen-SS. Ses parents s’y opposent et prennent contact avec un ami cheminot en lien avec la filière mosellane du réseau « Marie-Odile » issue des Forces Françaises Combattantes afin de lui faire passer la frontière. Alphonse Barthel est alors hébergé dans son appartement près de l’ancienne gare de Metz.

Le réseau « Marie-Odile », fondé dès août 1940 à Nancy par Pauline-Gabrielle de Saint-Venant dite « Marie-Odile Laroche » (1895-1945), s’étendait dans toute la France et regroupait plus de 600 agents dont environ 200 furent arrêtés et une soixantaine fusillés ou morts en déportation. À partir de l’arrestation à Paris de Madame de Saint-Venant, le 4 mai 1944, son gendre, le docteur Joseph-René Helluy (1911-1976), prend la tête du réseau à Nancy. Il est lui-même arrêté le 10 mai puis déporté. En plus des services de renseignements et de transport d’armes, ce groupe réalise plus de 30 000 passages à destination des maquis, de la France Libre, de l’Afrique du Nord, de la Suisse et de l’Angleterre. Le réseau prenait en charge des prisonniers de guerre français, des Alsaciens-Mosellans réfractaires à l’armée allemande, des Juifs, ainsi que des aviateurs alliés (plus de 300). Après le passage de la frontière généralement dans la région d’Amanvillers ou de Novéant-sur-Moselle, les personnes étaient ensuite prises en charge et rassemblées à Nancy avant d’être convoyées vers Paris (une étape avant d’être acheminés dans l’Ouest, en Corrèze et dans les Pyrénées), Mâcon, Lyon, la Suisse ou plus exceptionnellement le Nord ou les Pyrénées. Hébergement, habillement, convoyage et faux-papiers étaient fournis par le réseau. Pierre Ehrmann (1906- ?), un des futurs évadés du camp spécial du fort de Queuleu, et Marie-Louise Olivier née Bastien dite « Malou » (1910-?) ont des responsabilités dans le réseau pour la région messine.

Vers le 10 février 1944, Frédéric Melwig (1913-1985) demande à Fernand Traver, tout deux agents du réseau « Marie-Odile », s’il pouvait l’aider à faire passer un nommé Georges Demerlé (?-1947) qui se disait ancien adjudant de l’armée français qui souhaitait se rendre dans la zone Sud. Fernand Traver accepte et conduit l’intéressé chez « Malou ». Lorsqu’ils arrivent chez elle, cette dernière est en discussion avec le passeur chevronné Othon Giry (1912-?), auquel elle reproche de garder sur lui les adresses des jeunes gens à qui il faisait passer la frontière. Il est décidé que Georges Demerlé serait transféré trois ou quatre jours plus tard. Othon Giry présente à « Malou » un passeur nommé Émile Schang, alias « Ernest Laurent » avec qui il était prévu qu’il traverse la frontière. Très imprudente, la résistante l’accueille avec enthousiasme sans chercher à vérifier les dires du jeune homme tant la filière a fort à faire. En quelques semaines, la Gestapo avait en effet infiltré la filière messine avec deux de ses agents (V-Mann) : Émile Schang et Georges Demerlé, qui s’étaient rencontrés à la brasserie l’ABC à Metz pour mettre au point les détails de leur collaboration. Le premier devait comprendre toutes les ramifications de la filière en Lorraine et le second comprendre les étapes entre Nancy et les maquis du Sud de la France. Georges Demerlé passe la frontière quelques jours plus tard avec Émile Schang chargé de le convoyer.

Grâce aux nombreux renseignements fournis par les deux agents infiltrés du service de sécurité (Sicherheitsdienst), concernant notamment les fausses identités, les évadés et passeurs sont arrêtés par la police généralement après leurs passages. Othon Giry est ainsi arrêté le 23 février 1944. « Malou » doit alors s’en remettre à Émile Schang qui doit assurer une grande partie des passages.

A ce moment là, Alphonse Barthel est mis en relation par l’intermédiaire d’un prénommé Bour, qui lui apporte des faux papiers au nom d’ « Alphonse Guillard », avec Marie-Louise Hamentien née Raisin (1923-2017). Le contact est pris à l’entrée du pont de l’amphithéâtre qui le présente au passeur Émile Schang. Alphonse Barthel avait l’intention de rejoindre son frère qui se trouve en zone occupée à Melun (Seine-et-Marne).

Le 17 mars 1944, Émile Schang informe la Gestapo de Metz qu’il doit escorter un groupe d’une douzaine de jeunes gens en partant de 18h30 à la gare de Metz vers Amanvillers. Un guet-apens est tendu par Kurt Pistorius (?-?) de la Gestapo. Émile Schang a pour instruction de se rendre avec son groupe dans un café et d’attendre la tombée de la nuit, laissant aux policiers le temps nécessaire pour organiser leur embuscade. A 18h30, il prend le train comme convenu à Metz. Alphonse Barthel s’y trouve également dans le même compartiment que deux prisonniers de guerre français évadés. Ces derniers, originaires de Bretagne, qui avaient déjà fait l’objet d’un passage, reconnaissent Émile Schang qui leur avait déjà fait passer la frontière à une autre reprise. Alphonse Barthel trouve cette situation anormale.

Au même moment, Charles Cridlig (1905-1947), Kurt Pistorius et une huitaine d’hommes de la Gestapo se rend à Amanvillers en voiture. Le groupe d’Émile Schang descend à Montvaux en rase campagne puis attend quelques temps dans un café. Puis la petite troupe s’engage silencieusement dans un petit tunnel située sous la voie ferrée précédant la montée vers Amanvillers. Parmi eux, trois prisonniers de guerre français évadés, neuf réfractaires et déserteurs de l’armée allemande. A peine ont-ils pénétré dans le boyau, que plusieurs policiers de la Gestapo émergent en leur ordonnant de lever les mains en l’air. Des tirs sont échangés et Kurt Pistorius, chef de la section de lutte contre les passeurs de la Gestapo de Metz, est blessé à la tête. Alphonse Barthel essaye de s’enfuir en compagnie de deux camarades, Charles Imbs (1926-?) et Roger Marchal (1926-?), de Montigny-lès-Metz et également réfractaires de l’armée allemande. Les clandestins sont enfin maîtrisés par les policiers allemands accompagnés de Charles Cridlig. Ligotés, ils sont rassemblés au poste de police d’Amanvillers tandis que Kurt Pistorius est transféré à l’hôpital. Le soir-même, vers 21h, Pierre Ehrmann et son jeune fils Raymond, âgé de 9 ans, sont arrêtés à la gare de Châtel-Saint-Germain alors qu’ils se trouvent dans le train se dirigeant vers Amanvillers où ils devaient prendre en charge le groupe d’évadés. A 22h, Marie-Louise Olivier et deux de ses amies ont rendez-vous dans la gare de Metz avec son passeur pour savoir si tout s’est bien passé. S’approchant d’Émile Schang, elles sont brusquement cernées par cinq hommes en civil qui les placent en état d’arrestation et les conduisent au siège de la Gestapo en camion militaire bâché où Émile Schang descend. Après cet arrêt, les prisonniers dont Alphonse Barthel sont transférés au fort de Queuleu.

Le 18 mars 1944, l’ « hécatombe » se poursuit. En voiture cellulaire, la Gestapo, accompagnée de Marie-Louise Olivier (1910-?), procède à l’arrestation de douze personnes membre du réseau de la région de Metz dont Marie-Louise-Raisin (1923-2017) (matricule 927), les époux Melwig, Fernand Traver (1906-1978) (matricule 916), Mathilde (1924-2015) et Hélène Thomès (1905-?), Marie Pincemaille (1877-?) (matricule 928) et Louis Suttor (?-?). Ils sont rejoints par neuf résistants de Nancy, Jarny, Saint-Ail et Batilly en Meurthe-et-Moselle, pour l’essentiel des cheminots qui prenaient charge les évadés de l’autre côté de la frontière. Tous sont immédiatement incarcérés au fort de Queuleu. 48 personnes des filières, cataloguées par la Gestapo comme « terroristes dangereux » à cause du projet d’assassinat d’un indicateur, sont ainsi appréhendées. Le secteur mosellan du réseau Marie-Odile est ainsi anéanti.

Alphonse Barthel est interné dans le camp spécial (Sonderlager) du fort de Queuleu pendant quatre mois jusqu’au 14 août 1944 où les conditions d’internement sont terribles. Il est interrogé et se voit attribuer le matricule 912. Lors de la fouille sa fausse carte d’identité est retrouvée. Lors d’un interrogatoire, ne pouvant ni marcher ni porter de chaussures suite à d’importants rhumatismes articulaires, Alphonse Barthel est placé près d’un poêle brûlant. Il est d’abord emprisonné dans la cellule collective n°5 où il doit rester assis sur un banc les mains liées et les yeux bandés. Les conditions d’hygiènes sont déplorables et Alphonse ne pourra prendre qu’une seule fois une douche froide.

Après l’évasion de quatre prisonniers du 19 avril 1944, Alphonse Barthel est sélectionné pour participer aux corvées du camp. Il est alors transféré dans la cellule des travailleurs. Ses yeux sont débandés et ses mains déliées. Il est affecté à des travaux d’entretien et des corvées (élimination des poux et puce de vêtements, épluchage de légumes, balayage, déplacement de meubles, transport d’eau, ramassage de bois de chauffage, vidange et nettoyage des lessiveuses servant de toilettes pour les prisonniers…). Lorsqu’il est affecté à l’extérieur du camp dans l’enceinte du fort, il réalise qu’il est à Metz. Il est par ailleurs un des rares témoins de la présence des déportés de l’annexe du camp de concentration de Natzweiler-Struthof. Au poste de garde, un gardien SS lui offrira même une bière. Un soir, lors d’une corvée à l’extérieur dans le fossé du fort, il pense à s’évader mais vu les risques il ne tente rien.

Alphonse Barthel est transféré le 2 juin 1944 à la prison judiciaire de Metz rue Maurice Barrès pour être placé en détention préventive judiciaire (Untersuchungshaft). Menotté en permanence, il a le numéro d’écrou 294/44. L’aumônier de la prison lui indique avoir pris contact avec ses parents. Le père d’Alphonse prend alors contact avec son fils aîné qui se trouvait à Mulhouse pour qu’il intervienne auprès du chef de district nazi (Gauleiter). Jusqu’à sa condamnation, Alphonse Barthel a accès au journal.

Considéré comme coupable de désertion (Fahnenflucht), il comparaît devant le SS-und Polizeigericht XIV, situé dans l’actuel Lycée Louis Vincent de Metz, qui le condamne le 14 août 1944 à la peine de mort. Alphonse Barthel bénéficie d’un avocat qu’il rencontre seulement quelques minutes avant le procès.

Il est libéré de la prison le 2 septembre 1944 au moment de la panique des autorités allemandes. Son autre frère qui habitait Metz vient le récupérer au parloir. Suite au départ des magistrats, du directeur et des gardiens allemands de la prison en Sarre face à l’approche américaine, Eugène Liska, reprit ses fonctions de procureur de la république par intérim. Ce dernier fait libérer les prisonniers politiques sous l’influence de maître Pierre Wolff (1900-1985), avocat au barreau de Metz qui connaissait les activités de la résistance. La Gestapo revient le 3 septembre et ne peut que constater la libération des prisonniers.

Alphonse Barthel se réfugie alors dans l’appartement de son frère non loin du siège de la Gestapo. Quelques temps plus tard, il retourne chez ses parents rue du Lavoir mais suite aux bombardements du Sablon du 12 août 1944 sa famille se réfugie rue de la Princerie avant de revenir au Sablon jusqu’à la libération de Metz le 21 novembre 1944.

En janvier 1947, Alphonse Barthel participe au procès de Georges Demerlé, agent du service de renseignements nazi (Sicherheitsdienst) qui se déroule à la Cour de justice de Moselle à Metz. Ce dernier est exécuté à Metz-Chambière pour trahison le 27 juin 1947.

En 1948, Alphonse Barthel participe à l’enquête sur l’existence d’un four crématoire au fort de Queuleu qui correspondait à un four à pain.

Alphonse Barthel a obtenu le titre de déporté résistant après la guerre.

Il est décédé à Ars-Laquenexy le 30 janvier 2021.


Sources :

-Cédric Neveu, La Gestapo en Moselle. Une police au cœur de la répression nazie, Éditions du Quotidien, Strasbourg, nouvelle édition 2015.

-Archives de l’Association du fort de Metz-Queuleu.

-Interviews.